Chérif Rahmani
Ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement
Vers l’aménagement durable
Paru dans New African – Septembre-Octobre 2011
Un nouveau Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT) pour les vingt prochaines années vient d’être adopté en Algérie. Chérif Rahmani,
ministre en charge de ce dossier, explique la mise en œuvre de cette stratégie dont l’objectif est d’assurer l’équilibre entre les régions du nord, les Hauts-Plateaux et le Grand Sud, d’améliorer
l’attractivité et la compétitivité des territoires, tout en favorisant le développement durable.
Propos recueillis par véronique Narame
Quels sont les objectifs du Schéma national d’aménagement du territoire ?
Depuis la fin des années 1960, l’Algérie a mis en œuvre de nombreuses politiques de développement. Ces choix, opérés
dans le cadre d’une planification centralisée et d’une économie administrée telles qu’elles prévalaient alors, se sont avérés partiels et insuffisamment appuyés pour que les effets attendus se
matérialisent. Des déséquilibres se sont accumulés selon un gradient de décroissance du Nord au Sud (littoral, Tell, Hauts Plateaux, Sud). Le plus évident est l’hyper-concentration de la
population dans la bande littorale, là où les bassins de main-d’œuvre et les facilités (eau, énergie, infrastructures, potentialités naturelles) sont les plus abondants, mais où l’espace est le
plus rare, et la fragilité environnementale et les risques sismiques sont les plus élevés.
Avec le choix opéré, au début des années 1990, en faveur de l’économie de marché et de la liberté d’entreprendre et de
se localiser, le risque était grand de voir les déséquilibres s’accentuer aux dépens des régions intérieures. Mais le gouvernement algérien a décidé de réagir, et le président Abdelaziz
Bouteflika a affirmé une vision globale du territoire avec la création du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement (MATE) en 2000. Et en 2010, la loi portant Schéma national
de l’aménagement du territoire (SNAT) pour 2030 a été promulguée. Cette démarche participative se renforce aujourd’hui, notamment via différents instruments qui sont, à des degrés divers, en
cours de finalisation. La définition d’un système d’incitations économiques et financières adaptées aux spécificités des différents territoires, ainsi que l’amélioration de la gouvernance
territoriale, vont également aider à la délocalisation des activités. Le SNAT constitue le document de référence qui permettra à l’Algérie d’être réconciliée avec l’ensemble de ses territoires,
d’améliorer leur attractivité et leur compétitivité, et d’être ancrée résolument dans la voie du développement durable.
Comment l'Algérie conçoit-elle la construction de ses nouvelles villes ?
Sous l’effet conjugué de l’explosion démographique (la population a pratiquement quadruplé depuis l’indépendance) et de
l’exode rural, les villes algériennes ont connu de grandes mutations. Le taux d’urbanisation, qui était de 31,4% en 1966, est passé à 63% aujourd’hui. Cette évolution rapide a engendré des
déséquilibres. L’armature urbaine reste dominée par les grandes villes (Alger, Oran, Constantine, Annaba), à travers l’extension de leur périphérie. Le nombre de villes de plus de 100 000
habitants a considérablement augmenté. On en compte une trentaine aujourd’hui. Elles vont constituer le niveau fort de l’armature urbaine actuelle, mais il leur manque encore l’assise économique
suffisante pour diffuser le développement dans leur hinterland. A cela s’ajoute leur inadaptation fonctionnelle du fait de l’absence de centralité, du développement incontrôlé (et souvent
illégal) des périphéries porteuses de risques de déstabilisation sociale, et des carences de la gestion urbaine.
En dehors de quelques exceptions, les grands centres urbains ne sont pas encore en capacité de remplir convenablement
leurs fonctions économiques et sociales. Le SNAT 2030 a donc pour objectif la mise en place d’un système capable de structurer le territoire. Il est constitué des quatre grandes métropoles
qui ont le plus de potentiel, et qu’il convient de préparer à la compétitivité dans le cadre d’une économie mondialisée. Il inclut également les villes du Tell, des Hauts-Plateaux et du Sud,
ainsi que les Villes nouvelles d’excellence.
Sur la question de l’amélioration de l’urbanisme, seule une politique nouvelle, répondant aux exigences d’une
architecture moderne et aux typologies de l’architecture traditionnelle, est à même d’opérer un redressement, tant il est vrai que depuis l’indépendance du pays, et pour faire face aux besoins
sans cesse croissants en logements, la qualité a été délaissée, laissant se profiler des quartiers assimilables à de mauvaises banlieues européennes, en rupture avec l’architecture
méditerranéenne et maghrébine.
Des pôles de compétitivité et d'excellence sont développés. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de renforcer l’attractivité des territoires en érigeant deux des pôles de compétitivité et leurs zones
intégrées de développement industriel (ZIDI), ainsi que des technopoles, à l’intérieur et en dehors des villes nouvelles. Le pôle de compétitivité consiste à mettre en place, sur un même lieu ou
en réseau sur plusieurs wilayas, des compétences diverses : centres de formation et de recherche, grandes entreprises de portage, petites et moyennes entreprises, startups…Cette ville
nouvelle est un espace où éducation, recherche, information, savoir-faire et innovation rétroagissent positivement.
Trois pôles de compétitivité sont programmés. Celui de Sidi Abdallah qui est spécialisé dans les TICs et les
technologies avancées (industries pharmaceutiques) ; le Pôle de compétitivité de Bouinan dédié aux biotechnologies « industries agroalimentaires » et « médecine et
pharmacie » ; la ville Nouvelle de Boughzoul, pour les technologies vertes.
Vous pilotez un ministère éminemment sensible, celui de l’Environnement. Quels sont les défis majeurs auxquels
est confrontée l'Algérie et quelles solutions sont envisagées ?
Le dérèglement du climat par la croissance de l’effet de serre est certainement le plus gros défi au modèle de
développement qui a jusqu’alors prévalu. L’Algérie est concernée au premier chef, mais également l’Afrique. Notre pays anime les négociations du Groupe africain sur le climat au plan mondial. La
baisse de précipitations et le stress hydrique, avec les risques d’arbitrage en défaveur de l’eau d’irrigation, les vagues de sécheresse et les inondations qui, au-delà de leur aspect meurtrier,
accélèrent et emportent de larges superficies de terres arables, posent le problème de la sécurité alimentaire du pays.
Certes, certaines mesures sont prises. De vastes programmes de mobilisation de ressources en eau (barrages, stations de
dessalement) et d’ouvrages de transfert vers les régions déficitaires sont mis en œuvre. Un Plan national de lutte contre la désertification (PNLCD), a été défini et connaît un début
d’application. De larges superficies de régions de steppes, menacées par la désertification, sont mises en défens. Mais, il faudra aller plus loin. La gestion rationnelle des ressources en eau et
la promotion d’une agriculture adaptée à l’évolution du climat, à travers la recherche d’espèces résistantes aux différents stress (thermique, salin, hydrique), constituent des priorités.
L’épuisement à terme des ressources en hydrocarbures (pétrole/gaz), tout comme les impératifs de la lutte contre le
changement climatique qui imposent la réduction des émissions dues à la combustion des énergies fossiles, nécessitent l’introduction progressive et soutenue des énergies renouvelables. L’Algérie,
à travers son gisement solaire de grande importance et de haute qualité, dispose dans ce domaine d’atouts incontestables. Tant pour son marché intérieur qu’à l’exportation (énergie d’origine
solaire), dans la perspective de l’interconnexion en cours des rives Nord et Sud de la Méditerranée. Un premier Plan de développement des énergies renouvelables a été élaboré par le ministère de
l’Energie et des mines et a été présenté au gouvernement.
Enfin, et surtout, l’Algérie a décidé d’élaborer son Plan national climat pour répondre aux différents défis climatiques
qui se posent et se poseront à elle. Un Comité intersectoriel a été mis en place et a entamé ses travaux, de même qu’une Agence nationale des changements climatiques (ANCC) et une Autorité
nationale désignée pour le mécanisme de développement propre (AND-MDP).
Que dire des projets en faveur des énergies renouvelables qui émergent sur le continent ?
L’Afrique a de grands besoins en énergies et n’a de cesse de voir aboutir des projets comme Desertec, Inga ou le
Trans-African Gas Pipeline reliant le Nigeria à l’Europe via l’Algérie. Depuis le milieu des années 1990, l’Algérie milite pour des programmes solaires au Sahara et ne peut qu’être satisfait par
des propositions comme Desertec ou le Plan solaire méditerranéen. Mais il faut convenir que certaines questions restent encore floues. Quelle sera la place réelle et chiffrée pour l’électricité
d’origine solaire dans les pays de la rive nord, et à quelle échéance ? Quels types de technologies ou de partenariat ? Ce dernier point est particulièrement décisif.
L’Algérie est certes désireuse de produire de l’électricité solaire, pour ses propres besoins et à l’exportation, mais
elle ne saurait accepter de louer des espaces pour l’exploitation de son gisement solaire. Aussi, envisage-t-elle cette alternative en intégrant les stratégies des différents pays pour faire
émerger une stratégie commune euro-méditerranéenne. Cela permettrait, dans un premier temps, de tester des modes de coopération mutuellement avantageuses. Les Pôles de compétitivité des Villes
Nouvelles de Boughzoul et de Hassi Messaoud, ainsi que la Ville de Hassi R’mel dont la fonction est la promotion des technologies vertes et des énergies renouvelables, sont des centres d’accueil
privilégiés pour ce type d’actions.
L’Afrique, qui ne contribue qu’à hauteur de 4% aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, demeure pourtant
la plus vulnérable aux changements climatiques. Comment l'Algérie se positionne-t-elle par rapport à cette problématique ?
L’Algérie assure la présidence du Groupe de préparation et a accueilli, en 2008, la Réunion des points focaux et
négociateurs africains sur les changements climatiques, ainsi que la Réunion ministérielle africaine sur les changements climatiques. Ces deux réunions ont permis l’adoption d’un document de
base, la Plate-forme africaine sur le climat vers Copenhague, et la Déclaration d’Alger. Par ailleurs, le Comité africain des chefs d’Etat et de gouvernement institué par le Sommet de
l’Union africaine à Syrte, en 2009, a chargé l’Algérie d’animer les négociations sur les changements climatiques au niveau africain, aux Sommets de Copenhague et de Cancun.
Les questions qui ont été examinées par notre continent sont nombreuses et sont reliées. Elles ont trait au partage
d’une vision sur la base du principe des responsabilités communes - mais différenciées - (l’Afrique n’étant responsable que de 4% des émissions), aux programmes d’adaptation et d’atténuation pour
faire face aux impacts des changements climatiques, au rôle de la science et des transferts technologiques. L’Afrique insiste sur la dynamisation du marché du carbone, sur la création d’un Fonds
multilatéral pour un meilleur partage des connaissances, et surtout, sur la mobilisation de ressources financières nouvelles, conséquentes et additives, qui ne soient pas allouées au titre de
l’aide au développement - et donc au détriment de la lutte contre la pauvreté et autres priorités -, mais qui soient utilisées pour faire face de manière responsable aux enjeux du
changement climatique.
La question du financement est cruciale et conditionne le succès des négociations à venir. Elle doit être assumée – et
cela relève d‘une éthique élémentaire – par les pays qui ont émis de manière cumulée le plus de gaz à effet de serre. Lors de la Conférence des chefs d’Etat africains de Ouagadougou, en octobre
2009, l’Afrique a chiffré ses besoins en financements à 65 milliards de dollars. Elle est et restera unie sur ces questions.