Restaurer l’intégrité du pays
Paru dans New African - Juillet-Août 2011
Crédit photo : RTB
En l’espace de quelques semaines, le Burkina Faso a fait face à de vives tensions. Radioscopie des
évènements.
Réputé pour être un pays relativement stable et ses habitants plutôt débonnaires, le « Pays des hommes
intègres » a pourtant été confronté à une crise sans précédent, qui a commencé au mois de février.
Les étudiants d’abord, les soldats ensuite, ont manifesté haut et fort pour revendiquer qui justice, qui amélioration de
ses conditions de vie et de travail. Des mouvements de protestation ont suivi dans plusieurs autres villes. Le bilan est lourd. On déplore plusieurs victimes.
Les étudiants de Koudougou (la troisième ville du pays) l’ont démontré en février, en manifestant avec virulence après
la mort, dans des circonstances troubles, d’un des leurs, Justin Zongo, alors qu’il était en détention. Début mars, à Léo, d’autres manifestations estudiantines ont éclaté, à l’issue desquelles
les locaux de la police ont été incendiés, tout comme le commissariat central, à Ouahigouya. Les soldats ont protesté à leur tour, rejetant la condamnation d’une poignée de leurs pairs impliqués
dans une affaire de mœurs. La vague de contestation s’est progressivement amplifiée et a gagné d’autres casernes. Certains réclamant des primes, d’autres invoquant des différends avec la
hiérarchie. Les militaires de Fada NGourma se sont à leur tour mutinés et ont détruit à l’arme lourde le palais de justice. Pendant ce temps, des soldats qui avaient été mis en cause pour
atteinte aux mœurs ont libéré, fin mars, leurs coreligionnaires. Cela a suscité des protestations dans les rangs des syndicats de magistrats qui ont suspendu leurs activités juridictionnelles,
demandant au chef de l’Etat Blaise Compaoré le respect des décisions de justice.
De fil en aiguille, les protestations ont gagné en intensité. La résidence du ministre de la Défense a été attaquée,
puis celle du chef d’Etat-major général de l’armée ainsi que la maison du maire de Ouagadougou.
De la
colère aux exactions
Le président Blaise Compaoré a réagi en condamnant les exactions. « Des éléments des Forces armées nationales,
refusant de se soumettre à des décisions de justice, se sont emparés d’armes de guerre et de munitions pour terroriser les populations et se livrer à des actes de pillage. Ces contestations,
accompagnées de comportements qui portent atteinte à la dignité de la femme, ne sauraient être tolérées dans un Etat de droit ». Il a engagé les acteurs politiques à réfléchir à des
réformes. Pour faire retomber la colère, le chef de l’Etat a procédé à la révision des salaires des soldats. Mais deux semaines plus tard, de nouveaux incidents ont éclaté. Dans la nuit du 14 au
15 avril, des éléments de la garde présidentielle ont manifesté violemment, causant de lourds dégâts.
« Des armes ont encore crépité à Ouagadougou, et jusque dans le Saint des Saints de la république, à la
Présidence du Faso, située à Kosyam. Les habitants de la capitale ont eu peur », écrit Sidwaya, le quotidien national, au lendemain des évènements. Aux mutineries des forces de
l’ordre, se sont ajoutés, dans certains cas, des pillages nocturnes. Des commerçants qui avaient subi d’importants préjudices ont alors protesté pour obtenir réparation. Dans la colère, le siège
du parti au pouvoir, le CDP, Congrès pour la démocratie et le progrès, a été incendié et des édifices publics, dont le bâtiment de l'Assemblée nationale, la mairie de Ouagadougou et le ministère
du Commerce, ont été mis à sac.
Là-dessus se sont greffées les revendications des syndicats qui, à la faveur de la fête du 1er mai, ont
réclamé la démocratisation de l’accès aux soins et à l’éducation. Des partis politiques de l’opposition ont rallié le mouvement. Ces derniers ont protesté contre le régime, critiquant la manière
dont était gérée la crise. Au regard de tous ces évènements, d’aucuns ont souligné que la crise sociopolitique que traversait le pays était symptomatique d’un malaise profond généré par un
sentiment d’injustice.
S’attaquer aux racines du mal
Au lendemain de la mutinerie du régiment de la garde présidentielle, le chef de l’Etat a dissout le gouvernement et
limogé le chef d'état-major général des forces armées. Le 18 avril, Blaise Compaoré, qui s’est octroyé le ministère de la Défense, a nommé Beyon Luc Adolphe Tiao à la tête d’un gouvernement
resserré de 29 ministres (contre 38 dans la précédente formation). Tout juste nommés, ils ont cherché des solutions pour sortir de la crise qui secouait le Burkina Faso. « Ma
préoccupation c'est d'abord de voir avec les partenaires sociaux quelles mesures prendre, en fonction de nos moyens, pour réduire les effets de la vie chère », a promis Luc Adolphe
Tiao.
La nouvelle équipe ministérielle, sous la
direction du Premier ministre qui remplace désormais Tertius Zongo, a entamé sans tarder des consultations et a pris des mesures drastiques pour faire baisser les tensions. Elles concernent la
réduction des prix des produits de grande consommation, la suppression de la taxe communale de développement communautaire et l’abattement de 10% de l’impôt sur le traitement des salaires (ITS).
A l’ordre du jour également, le retrait de la tarification des coûts médicaux et la suspension des pénalités de retard sur le paiement des factures d’électricité. L’avancement des fonctionnaires
qui avaient été suspendus depuis 2008 a été reprogrammé, l’apurement étant prévu au plus tard en septembre 2011. A cela, la société civile répond : « On est un peu satisfait mais on
attend les effets. Si les promesses sont tenues, ça va aller. »
Pour l’heure, les revendications des producteurs de coton qui avaient manifesté dans la région de Bobo Dioulasso, à la
fin du mois d’avril, ont d’ores et déjà, été entendues. Ils réclamaient la réduction du prix des engrais pour la campagne 2011-2012 et la hausse des prix d'achat du coton. Début mai, le
gouvernement a accédé à partie de leur demande en subventionnant davantage les intrants. Les différents corps armés ont également été entendus et leurs doléances – l’amélioration des conditions
de vie et de travail – satisfaites. L’armée s’est engagée en retour à rentrer dans les casernes.
En parallèle, le gouvernement a garanti que des fonds seraient alloués à la réparation des locaux des commerçants ayant
été pillés par les mutins, et a assuré du démarrage des indemnisations. Le Premier ministre a également déclaré la levée de la police universitaire, laquelle était considérée par les étudiants
comme une atteinte aux franchises universitaires et à leurs libertés. Il a en outre été assuré du traitement diligent des dossiers judiciaires.
Grand train de réformes
Dans les autres ministères, on s’active à la mise en œuvre du grand chantier des réformes. Soungalo Appolinaire
Ouattara, qui reprend la direction de la Fonction publique et hérite du ministère du Travail et de la sécurité sociale, a déclaré à l’issue de son installation vouloir « travailler sur
la réforme administrative pour que la fonction publique puisse être efficace ». Au ministère de la Justice, Jérôme Traoré, qui cumule également la Promotion des droits humains, précise
que la fusion des deux départements ministériels s’inscrit dans un contexte particulier marqué par la remise en cause des institutions républicaines, des acquis en matière de civisme et du
respect des biens publics. Il s’agit, souligne-t-il, « d’allier désormais la promotion des droits humains à leur protection ». Jérôme Bougouma, ministre de l’Administration
territoriale, de la décentralisation et de la sécurité fait remarquer que « le mal est profond » et que « l’incompréhension est grande ». Le professeur
Albert Ouédraogo nommé à la tête du ministère des Enseignements secondaire et supérieur dit souhaiter recevoir les conseils des uns et des autres pour que l’enseignement « sorte du
marasme dans lequel il est entré, surtout concernant les universités ». Lors de la passation de témoin au ministère de la Jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi,
Justin Koutaba, le ministre sortant, a reconnu que ces dossiers étaient « deux domaines délicats, de priorité, de grande préoccupations », où beaucoup a été fait mais où
beaucoup reste à faire. La bataille contre le chômage – en particulier celui des jeunes - reste donc un combat de premier ordre que devra mener Achille Marie Joseph Tapsoba l’actuel
ministre.
Tout cela suffira-t-il à restaurer durablement le calme ? C’est en tout cas le message que délivrent les autorités,
exhortant les syndicats, les partis d’oppositions et les organisations de la société civile à leur faire confiance et à leur laisser ce délai supplémentaire pour que s’amorcent les consultations
et les changements idoines.
Luc Marius Ibriga, président du Focal, Forum de citoyennes et citoyens de l’alternance, dont la 2è édition sur le thème
« Dialogue démocratique, justice et réconciliation nationale » a eu lieu début mai, convient qu’il faut se dire les vérités avant d’évoquer le pardon. Car, dit-il, il y a beaucoup de
rancœur, d’exaspération et que la violence va grandissante. « Le Burkina Faso est confronté à une crise multidimensionnelle dont les causes sont très profondes », analyse pour
sa part l’Observateur Paalga. Paul Kéré, avocat au barreau de Nancy, en France, fait du reste état d’une trop grande disparité du niveau de vie entre citoyens du même pays. Une
meilleure répartition des richesses est attendue. « Dans un contexte de crise multiforme, les ministres sont priés de se jeter immédiatement à l’ouvrage, pour tenter de sauver un
quinquennat présidentiel décidément bien mal engagé », fait remarquer le Journal du jeudi. Il en est d’ailleurs qui pensent que le système de gouvernance en place depuis près d’un
quart de siècle donne quelques signes d’essoufflement, et qu’il est peut- être temps de préparer l’alternance, en vue des prochaines échéances électorales, à l’horizon 2015.